Avertissements concernant la traduction de l’enquête américaine

Vous vous apprêtez à lire des témoignages de première main, retranscrits dans les quelques mois qui ont suivi le naufrage au cours de procédures officielles. Sous vos yeux, donc, les survivants du naufrage du Titanic, certains très connus, d’autres beaucoup moins, vont prendre la parole pour raconter leur histoire. Avant de vous y plonger, vous devez cependant savoir quelques choses sur ces sources, qui sont, comme toujours en histoire, à manier avec précaution.

Tout d’abord, gardez en tête que ces témoignages ne contiennent pas de vérité absolue, juste celle de leurs auteurs. Certains, comme Charles Lightoller, sont connus pour avoir répondu avec réticence à certaines questions. Ils sont parfois évasifs, et peuvent même avoir choisi, sur tel ou tel point, de mentir. Ajoutez à cela que la mémoire humaine (ainsi que nos sens) peuvent être très trompeurs, surtout dans une situation si traumatique. Parfois, les protagonistes se souviennent mal, confondent, ou se trompent sur ce qu’ils ont vu. Nous savons aujourd’hui que le Titanic s’est brisé en deux avant de couler, et vous verrez que certains témoins racontent cette scène avec une claire précision. D’autres n’ont rien vu. D’autres encore sont convaincus que le navire a coulé intact. Souvent, cette conviction vient du fait que l’obscurité, leur position, et plein d’autres facteurs les ont empêchés de comprendre ce qu’ils avaient réellement sous les yeux.

Ajoutons enfin quelques sources de confusion pour les gens qui se trouvaient à bord. Les heures, par exemple, étaient changées tous les jours. Un changement d’heure devait survenir à minuit, qui n’eut pas lieu. Aussi ceux qui étaient encore en service à l’heure du drame n’avaient-ils pas changé leur montre. C’est leur heure qui sert de référence, par exemple pour dire que le Titanic a heurté l’iceberg à 23 h 40. Mais certains, notamment les stewards qui avaient déjà quitté leur service, avaient déjà retardé leur montre de 20 minutes en prévision du changement. D’où le fait, par exemple, que le steward C. E. Andrews situe la collision à 23 h 20. De même, du fait de l’arrivée d’Henry Wilde comme chef officier, William Murdoch, qui aurait dû occuper ce poste, fut rétrogradé au poste de premier officier, mais conserva son uniforme. Il arrive donc que certains témoins, qui ne connaissaient pas les noms des officiers, le désignent comme chef officier, ou puissent les confondre, Wilde et lui. Enfin, il s’agit là d’une retranscription, avec les erreurs et omissions que de tels documents peuvent contenir. Il est probable que, par moments, les sténographes se soient embrouillés, aient mal compris, voire sauté quelques passages de la discussion. Nous devons faire avec.

Le but de cette traduction est avant tout de permettre au public francophone d’accéder à cette source primaire merveilleuse que sont ces commissions d’enquête. Ce travail a été permis par les retranscriptions en anglais produites sur le site du Titanic Inquiry Project. Mais ces sources primaires se doivent ensuite d’être comparées, critiquées, confrontées à d’autres. Dans l’idéal, ces traductions permettront aux chercheurs et chercheuses qui se passionnent pour le naufrage du Titanic de travailler à leurs articles. Pour faciliter la vie de celles et ceux qui poursuivront vos recherches, pensez à référencer votre travail aussi clairement que possible ! Pour vous rendre les choses plus aisées, les documents sont présentés avec leur pagination d’origine. Ce système est utilisé par la plupart des chercheurs anglophones dans leurs ouvrages et articles, et ces paginations font donc référence, quel que soit le format du document choisi et sa langue.

Note sur la traduction

Cette traduction de l’enquête américaine sur le naufrage du Titanic a été un travail de très longue haleine, entamé il y a plus de dix ans, fin 2009. Il doit beaucoup à l’équipe du Titanic Inquiry Project qui a œuvré à rendre l’intégralité des échanges facilement accessibles sur internet, quand tant de générations de chercheurs en avaient été privés, faute de pouvoir se rendre dans les archives. Cette source est cruciale pour comprendre les événements du naufrage : c’est la première fois que des témoins s’exprimèrent sans intermédiaire sur ce qu’ils avaient vécu. Traduire un tel document historique permettra ainsi au public francophone d’avoir accès à cette précieuse source.

Cependant, toute traduction est aussi une trahison : c’est d’autant plus vrai dans le cas présent. En effet, cette enquête mit en contact des gens qui, bien souvent, ont peiné à se comprendre. Certaines expressions n’ont certainement pas le même sens d’un côté à l’autre de l’Atlantique, à quoi il faut ajouter le langage typiquement maritime. Un double langage, en réalité, car aux termes techniques officiels s’ajoutent les surnoms ou termes approximatifs souvent utilisés par les marins. Difficile, alors, d’être fidèle au sens des mots originaux, ces confusions apparaissant bien moins nettement en français. De même, le double sens de certains mots anglais suscite parfois des questions entre les interlocuteurs qui ne sont pas transmissibles en français : dans ces cas-là, j’ai essayé autant que possible d’annoter le passage entre crochets et en italique pour faciliter la compréhension des confusions. De même, nous avons ici affaire à la retranscription d’échanges oraux, avec les hésitations, leurs phrases grammaticalement bancales, ceci d’autant plus que les sténographes n’ont forcément jamais été infaillibles. Dans la traduction, j’ai essayé de conserver ces hésitations et maladresses autant que possible, même si certaines ont sans nul doute été gommées. De façon générale, j’ai privilégié la fidélité à l’élégance.