Ce matin du 23 avril, les sénateurs se réunissent malgré l’absence de Bourne et de Simmons (ce dernier ne reviendra semble-t-il pas). Mais un autre absent est signalé par le sénateur Smith : l’officier Boxhall qui aurait dû revenir témoigner, mais est excusé par un message transmis par son médecin. Il est en effet trop malade pour participer ce jour. On sait désormais que l’officier était alors frappé d’une pleurésie, dont on a vu qu’elle expliquait peut-être son absence de la passerelle de navigation au moment de la collision. C’est dans tous les cas vers un autre officier que se tourne donc l’enquête, le troisième officier Pitman.
Témoignage d’Herbert John Pitman
Le témoignage de Pitman suit un cheminement assez classique. Il est d’abord invité à présenter son expérience maritime, et explique avoir passé 17 ans en mer, dont cinq comme officier de la White Star. Il décrit ensuite les essais du Titanic, en précisant que la compagnie ne fait pas de test de vitesse. Il raconte ensuite brièvement la traversée, par une météo qu’il juge idéale, et détaille ses fonctions d’officier, qui consistent globalement à assister l’officier senior dans son quart. Questionné sur les exercices de sauvetage, Pitman confirme que le seul à avoir eu lieu s’est déroulé à quai à Southampton. Sur les glaces, il se révèle plus ambigu. Il explique d’abord ne pas en avoir vu dans sa carrière sur la ligne de l’Atlantique nord, le seul qu’il a croisé ayant été au large des Malouines. Smith essaie à plusieurs reprises de lui faire énoncer des méthodes permettant de détecter la glace, que ce soit par la chute de la température, la présence d’animaux marins ou l’écho des sirènes du navire, mais Pitman les balaie toutes en ne les jugeant pas fiables. Mais c’est surtout sur la question des avis de glace qu’il tend parfois à se contredire. Il dit d’abord ne pas avoir du tout évoqué la question avec ses collègues, puis finit par remarquer qu’elle a été évoquée rapidement autour de 20 heures, au moment de la fin de son quart. Il n’évoque qu’une seule position de glaces connue de lui, indiquée par Boxhall sur la carte, bien au nord de la route du Titanic.
Cette route et les questions de navigation sont également beaucoup évoquées dans le témoignage, puisque Pitman a consacré une bonne part de son dernier quart à calculer la position du navire et faire des relevés astronomiques avec Lightoller, avant de laisser Boxhall achever le travail. La question de l’existence de plusieurs routes suscite quelques confusions : Pitman explique qu’il y a une route du nord (utilisée d’août à janvier, lorsque les glaces sont absentes) et une du sud, utilisée par le Titanic, mais les sénateurs semblent confondre ses deux routes avec le fait que sur chacune, il y a également une route dédiée à chaque sens de navigation. Pitman est également interrogé sur le changement de cap dénommé « passage du coin », durant lequel le navire oblique vers l’ouest pour poursuivre droit vers New York. Le changement a en effet eu lieu à 17 heures 50 le dimanche, mais Pitman insiste bien sur le fait que contrairement à l’idée donnée par son nom, le « coin » n’est clairement pas un virage à angle droit.
La question de la vitesse est également évoquée. Pitman l’estime ce soir-là à 21,5 nœuds, et dit qu’elle était bien inférieure aux 24 nœuds que le navire aurait pu atteindre. Selon lui, un mécanicien lui aurait dit que le navire n’avait pas assez de charbon pour effectuer la traversée à pleine vitesse. Les travaux de Mark Chirnside sont venus nuancer fortement ce constat. Plus loin, il confirme qu’il n’est pas habituel de réduire la vitesse à l’approche de glaces, que l’on se fie au fait de les voir à temps. Il refuse de se prononcer sur la question de savoir si la veille a ou non été doublée, puisqu’il n’était pas en service. Cette ignorance, feinte ou réelle, lui permet de ne pas incriminer ses collègues.
Sur le naufrage lui-même, Pitman indique avoir été tiré de son demi-sommeil par la collision, qu’il assimile au glissement de la chaîne d’ancre contre son treuil. Après s’être levé pour voir ce qui se passait, il est rentré fumer sa pipe en attendant son quart, sans être particulièrement alarmé. C’est ensuite Boxhall qui l’a prévenu de la collision, et il est allé observer les dégâts par lui-même, plus curieux qu’inquiet. Il a fini par se rendre au canot auquel il était normalement affecté, le n°5.
C’est sur injonction d’un homme qu’il a fini par identifier comme Ismay, confirmée ensuite par ordre du commandant, qu’il a rempli son canot de femmes et enfants. Il estime y avoir fait monter une quarantaine de personnes, et avoir été surpris par la modernité et l’efficacité des nouveaux bossoirs par rapport aux anciens modèles. Ces bossoirs de type Welin étaient en effet d’un type récent, conçu pour descendre plusieurs canots à la suite, et leur rapidité d’utilisation a été soulignée par plusieurs témoins. Le canot contenait selon lui cinq membres d’équipage, cinq ou six hommes, et de nombreuses femmes. Il affirme également à Smith que les passagers n’étaient pas distingués selon leur classe. Le sénateur s’interroge cependant sur le nombre de membres d’équipage : pourquoi y en avait-il tant (six en comptant Pitman), quand Lightoller peinait à en trouver de son côté ? L’officier ne sait que répondre, mais détaille : il y avait là un marin, deux stewards et deux chauffeurs. On peut supposer que, de son côté, Lightoller était plus exigeant et ne décomptait que les marins. Pitman note toutefois que tous savaient ramer, que les femmes ont aidé, et que tout le monde s’est bien comporté. Il ajoute avoir vérifié lui-même par la suite que son canot contenait des provisions.
En effet, Pitman a reçu l’ordre direct de Murdoch de partir dans le canot, ce à quoi il était réticent. Il explique n’avoir pas cru au naufrage sur le moment, et n’avoir réalisé la gravité de la situation qu’une bonne heure après son départ du navire. Rétrospectivement, il pense cependant que son collègue savait que le navire était condamné au moment où ils se sont quittés. L’ordre lui avait initialement été donné de rester à proximité, mais il a préféré s’éloigner pour éviter une possible succion.
Sa description du naufrage est importante à plusieurs titres. D’une part, c’est par lui que l’on date la fin du Titanic à 2 h 20 du matin, car il a regardé sa montre à ce moment-là. D’autre part, s’il affirme que le navire a coulé intact, il explique avoir vu le navire basculer une fois le gaillard d’avant atteint, puis couler intact. Il évoque également plusieurs détonations à ce moment-là : il ne s’agit pas pour lui d’explosions, mais plutôt de ruptures de cloisons. On sait aujourd’hui que le navire s’est brisé, et il est probable que ce soit là ce qu’il a entendu, comme de nombreux autres témoins.
De son canot, il dit également avoir vu tirer une douzaine de fusées depuis le Titanic, et une lumière blanche au loin, qu’il ne pense pas avoir été un navire. Ce n’est qu’après coup qu’il a entendu dire qu’un feu de navire avait été vu au loin, mais il juge que ça ne pouvait pas être cela. Interrogé sur la portée des sirènes du navire, il ne pense pas qu’elles auraient été entendues à 5 miles, mais il juge que l’expulsion de la vapeur qui a retenti un long moment aurait été audible de plus loin.
Une question qui revient plusieurs fois est celle de la capacité de son canot. Pitman juge qu’il était quasiment plein, et estime qu’il n’aurait pas pu contenir plus de 60 personnes. On sait en réalité que le canot n°12 a fini la nuit avec près de 70 personnes à son bord, mais il était évidemment de l’intérêt de l’officier de minimiser cette capacité. Plus encore, s’il reconnaît qu’il avait quelques places de plus, il doute qu’on aurait pu le faire descendre à pleine charge. Dans un passage particulièrement vibrant, il revient sur les cris des personnes agonisant dans l’eau, et explique avoir voulu revenir, en avoir donné l’ordre, et avoir dû renoncer face aux protestations des passagers. Le sujet le met tellement mal à l’aise qu’il demande à plusieurs reprises au sénateur d’arrêter d’en parler.
De façon générale, le témoignage de Pitman est parfois très évasif : sur de nombreux éléments, il n’a pas été un témoin clé. Il n’était pas de quart lors de la collision, et a quitté très tôt le navire. Malgré tout, il permet aux sénateurs d’acquérir des connaissances de base sur le fonctionnement du navire, l’emplacement des différents canots, et ainsi de suite. Dans d’autres circonstances, il s’égare profondément, lorsqu’il explique par exemple que les compartiments étanches n’ont probablement servi à rien car le navire a dû être totalement éventré par l’écrasement de sa quille de roulage. On sait au contraire que les brèches étaient très réduites.
En somme, si ce témoignage apporte un certain nombre d’informations, il apparaît vite que Pitman est, des quatre officiers, celui qui a le moins d’informations de première main à apporter. Ainsi, si les sénateurs lui demandent de se tenir à disposition du comité, il ne sera finalement pas réinterrogé, contrairement à ses collègues.
Témoignage de Frederick Fleet
La parole est ensuite donnée à Frederick Fleet, qui est un témoin particulièrement réticent. Lors de la commission britannique, cette réticence sera encore plus palpable, montrant clairement que l’homme qui a vu l’iceberg craint d’être placé sur un banc d’accusés. Pourtant, les sénateurs qui l’interrogent ne lui font à aucun moment porter le blâme du naufrage, mais Fleet se doute que son témoignage pourrait facilement lui être préjudiciable. Souvent, il refuse donc de répondre lorsqu’il est invité à une approximation, sur des questions de taille ou de distance notamment : même quand les sénateurs l’invitent à donner un très large ordre d’idée, il s’y refuse, s’abritant derrière le fait qu’il est très mauvais pour ce genre d’estimation.
Il raconte cependant avec une relative précision les événements liés à la collision, expliquant qu’elle est survenue peu après les « sept coups de cloche ». Les quarts étaient divisés en demi-heures marquées par une succession de coups de cloche, et les « sept coups » indiquaient que la huitième et dernière demi-heure du quart s’engageait. Fleet ajoute que son quart aurait dû être exceptionnellement allongé de vingt minutes du fait du changement d’heure, mais on sait par le témoignage de Pitman juste avant que celui-ci n’a pas eu lieu.
Il explique avoir sonné trois coups de cloche dès qu’il a vu cette masse sombre, pour indiquer qu’un objet se trouvait devant. Smith lui demande s’il était alors inquiet, et Fleet répond que non, avant de se contredire en expliquant qu’il a appelé par téléphone la passerelle car l’objet lui semblait trop près. Il a reçu une réponse d’un officier qu’il n’identifie pas. Il ajoute que son collègue Lee a dû voir la masse noire à peu près en même temps que lui. Tous deux ont vu le navire virer, ont senti un grincement, et ont cru l’avoir frôlé. Ils ont ensuite poursuivi leur quart jusqu’à la relève.
Fleet décrit globalement sa tâche à bord, qui consiste à observer les environs et signaler tout ce qu’il voit, pendant des périodes de deux heures suivies de quatre heures de pause, trois binômes se succédant dans le nid-de-pie. Deux autres vigies appartenant chacun à un des autres binômes, Hogg et Symmons, se trouvent avec lui à New York, les autres étant repartis. Il pose également la question des jumelles, en expliquant qu’il en avait une paire (très mauvaise) pendant les quatre années passées sur l’Oceanic. Il en avait également une sur le Titanic entre Belfast et Southampton, qui ne leur a plus été fournie ensuite. Les vigies Hogg et Evans ont essayé d’en obtenir une paire auprès de Lightoller, sans succès. Fleet tente de se dédouaner en expliquant qu’il aurait repéré l’iceberg assez tôt pour l’éviter s’il avait eu des jumelles. Il se contredit cependant par la suite en reconnaissant qu’il aurait regardé avec les jumelles après avoir vu la masse sombre.
Son témoignage se poursuit sur la suite de son quart : une fois redescendu du nid-de-pie, son collègue et lui ont été appelés sur le pont par un quartier-maître. Il est ensuite monté dans un canot à bâbord, le n°6, avec un quartier-maître. Il estime à une trentaine de personnes le nombre d’occupants, ce qui est exagéré. Il dit que se trouvaient à bord trois autres passagers hommes, deux de première et un d’entrepont. Comme on le verra, il semble en réalité n’y en avoir eu qu’un de première, monté en cours de route, comme Fleet le décrit, en descendant le long d’un cordage pour compléter l’effectif. Il explique ensuite avoir ramé vers une lumière au loin, qui semblait s’éloigner. À deux rameurs, il paraissait impossible d’approcher du feu en question. Ils ont aussi ramé pour éviter la succion, et étaient trop loin du navire pour le voir couler. Finalement, le sénateur Smith décide de couper court au témoignage de Fleet, tout en lui demandant de rester à disposition après la pause.
Témoignage du Major Arthur Peuchen
Après réflexion, Smith décide de donner la parole à un passager canadien, Arthur Peuchen. Celui-ci se présente, et décrit les passagers canadiens du Titanic, dont il connaissait un bon nombre : tous sont morts à part lui, parmi ses proches. Il raconte ensuite en détail la traversée, l’incident avec le New York au départ de Southampton, le temps idéal tout au long du voyage, puis sa dernière soirée. Après un dîner et une soirée au fumoir, il venait de commencer à se déshabiller quand il a senti une secousse comme si une grosse vague avait frappé le navire. Dans la mesure où la mer était d’un calme plat, la chose l’a inquiétée, et il est parti enquêter, croisant un ami qui l’a informé du passage d’un iceberg. Il raconte ensuite comment il est allé observer la glace tombée sur le pont, et a discuté avec Charles Hays, riche magnat ferroviaire canadien, qui lui a assuré que le navire tiendrait une dizaine d’heures. Malgré tout, il a ensuite appris par un ami que l’ordre était donné d’évacuer, et est parti chercher des vêtements chauds.
À bâbord, il a aidé les marins à préparer les canots en sortant les mâts et voiles, jugés inutiles, sur suggestion du capitaine ou d’un officier. Il explique ensuite que pour charger les canots, Lightoller a fait appliquer avec rigueur la règle des femmes et des enfants « seulement ». Il précise par la suite que la règle semblait plus souple à tribord, et qu’il ne comprend pas pourquoi les hommes n’ont pas été autorisés à monter lorsque les femmes ont manqué et que des places restaient libres. En effet, il indique clairement que le canot est parti alors qu’aucune femme supplémentaire n’était disponible pour y monter. Il souligne la grande discipline qui régnait, et rapporte qu’un officier grand et costaud, probablement Wilde au vu de la description, a à lui seul arrêté « une centaine de soutiers » montés sur le pont.
Peuchen décrit le chargement d’un premier canot parti avec environ 26 personnes dont quatre marins. Il s’agit probablement du canot 8, dont on pense qu’il est le premier à être parti à bâbord. Il a ensuite vu le canot suivant être sous-chargé, avec vingt femmes, deux marins et un passager clandestin découvert plus tard. Il explique ensuite comment, face au manque de marins, il a proposé de mettre à contribution son expérience de plaisancier et est descendu dans le canot suspendu à un cordage, comme l’a raconté Fleet précédemment. Il est intéressant de voir que Peuchen dit avoir refuser l’offre de Smith de passer par un pont inférieur en cassant une fenêtre et avoir proposé lui-même de descendre acrobatiquement, quand Lightoller donnait plutôt à penser dans son témoignage qu’il lui avait imposé l’exercice pour éprouver son expérience de marin. De fait, on sait que Peuchen souffrit beaucoup des reproches liés à sa survie, attribuée parfois à de la lâcheté, et il a donc un intérêt certain à décrire un départ aussi héroïque et chevaleresque que possible…
La vie dans le canot est longuement décrite. Peuchen y rapporte avoir ramé aux côté de Fleet, à qui il a parlé un peu de la collision. Dans son récit, celui-ci contredit son témoignage : il n’aurait pas eu de réponse de la passerelle à son coup de téléphone, et interrogé sur ce point, Lightoller aurait dit à Peuchen que ce n’était pas systématique. À plusieurs reprises, Peuchen charge fortement le responsable du canot, le quartier-maître Hichens. Dès le départ, celui-ci aurait paniqué, d’abord en ne trouvant pas le bouchon de nable assurant l’étanchéité de l’embarcation, puis assurant désormais que l’heure était au chacun pour soi, avant d’être particulièrement désagréable et grossier. Un officier leur aurait ordonné de revenir, ce qu’Hichens aurait refusé sous les protestations des femmes. De même ensuite quand le navire a disparu, et que le quartier-maître a refusé de revenir chercher des naufragés.
Dans les faits, Peuchen se montre cependant vite évasif sur ses propres volontés : désabusé, il aurait dit aux femmes qu’il ne servait à rien de débattre avec un tel individu, et aurait donc joué la carte de l’impuissance. On peut cependant se demander comment tout un canot unanimement décidé à revenir n’aurait pas pu imposer sa volonté à un seul homme. Dans les faits, on verra par son témoignage qu’Hichens avait de bonnes raisons de ne pas revenir, choix qui a d’ailleurs été fait dans les autres canots également, sans les mêmes débats.
Peuchen critique aussi le quartier-maître sur sa décision de ramer vers une lumière qu’il juge imaginaire. Il explique que le quartier-maître a évoqué la possibilité que ce soit une bouée, ce qui serait pour le moins improbable en plein Atlantique. Pour le major, Hichens était un incompétent caractérisé.
Le témoignage de Peuchen est également intéressant sur les derniers instants du navire. Alors que Fleet dit ne rien avoir pu voir, le major, du même canot, dit avoir vu le paquebot se dresser à un angle de 45° environ avant de couler. Peu après l’extinction des lumières, alors qu’il ne pouvait plus rien voir, il a entendu comme un gros grondement qu’il attribue à la pression de l’air et aux craquements des ponts. Il explique ensuite qu’une grande explosion a dû survenir, car il a vu le lendemain flotter dans les débris l’enseigne du barbier, qui se trouvait au cœur du navire, sur le pont C du Grand escalier arrière. On sait aujourd’hui que c’est précisément dans cette zone que le navire s’est brisé : Peuchen a donc bien relevé les indices de la cassure, sans totalement en tirer les conclusions.
Une contradiction apparaît à un moment : Peuchen dit avoir relevé les adresses de plusieurs de ses compagnes d’infortune, dont Mrs Douglas. Smith demande alors si elle a tenu la barre du canot, ce que Peuchen conteste puisqu’Hichens la monopolisait. En réalité, c’est dans le canot n°2 de Boxhall que Douglas a tenu la barre, ce que confirmera ultérieurement sa déclaration sous serment, et Peuchen a donc mélangé ses notes. Il rapporte également que son canot disposait bien de provisions et d’une lampe, et que les gilets de sauvetage ne manquaient pas. Cette question des gilets suscite par la suite débat durant son témoignage : si tout le monde en portait, pourquoi aucun cadavre flottant n’a été vu le lendemain ? Peuchen se questionne aussi, et dit avoir eu l’impression de voir au matin une importante quantité de liège (ou de ce qui lui a paru en être). Les gilets se seraient-ils éventrés ? En réalité, au moment même de ce témoignage, le Mackay-Bennett commençait à récupérer des corps, dont plus de 300 ont été repêchés. Qu’aucun ou presque n’ait été vu depuis le Carpathia au lendemain du drame reste donc assez peu explicable, même si Peuchen suppose que les débris qu’il a vu avaient pu dériver depuis le lieu du naufrage.
Parmi les questions diverses, Peuchen revient sur sa dernière conversation avec Hays, avant de monter dans un canot. Celui-ci tenait d’un capitaine « Crossley » (en réalité Crosby, victime du naufrage) que le navire tiendrait au moins huit heures encore. À plusieurs reprises, la question de l’alarme donnée aux passagers est posée, et Peuchen confirme qu’il n’y en a pas eu, sans savoir quelles sont les dispositions habituelles. Il dit aussi qu’il n’y a pas eu d’exercice le dimanche, contrairement à ce qu’il avait vu lors d’autres voyages.
Un échange particulièrement célèbre survient également durant ce témoignage, qui a nourri les accusations d’incompétence contre le sénateur Smith. Celui-ci demande en effet à Peuchen si le Titanic a coulé « par la proue ou par l’avant », ce à quoi Peuchen répond que c’est la même chose. Le sénateur rétorque que ce n’est « pas tout à fait » la même chose, avant de clarifier un peu. Il essaie en réalité manifestement de savoir si la collision a eu lieu tout à fait à la proue, ou un peu en arrière.
Dans les échanges impliquant les sénateurs Fletcher et Newlands, la question de la température de l’eau et de la survie dans celle-ci est posée : Peuchen estime qu’on n’y tiendrait pas plus d’une demi-heure. La question du chargement des canots est également posée : le major explique que le sien était très nettement sous rempli, mais que Lightoller lui a dit par la suite que c’était le maximum pour le descendre en toute sécurité. On sait en réalité que ces canots étaient conçus pour être descendus à pleine charge, même si les officiers semblent tous d’un avis contraire.
Enfin, Smith questionne à plusieurs reprises Peuchen sur la discipline et l’organisation de l’évacuation. Le major affirme que la discipline était exceptionnelle, mais que tout le monde ne semblait pas être à son poste, ce qui expliquerait le manque de marins à bâbord avant, qu’il ne veut cependant pas généraliser à l’ensemble du navire. Il conclut que l’équipage manquait d’exercice plus que de compétence, du fait que tous semblaient venir de navires différents. Il ajoute également que s’il n’a pas entendu parler de glaces avant le naufrage, il a ensuite entendu sur le Carpathia le troisième officier dire qu’ils s’attendaient à en rencontrer, ce qui contredit en partie le témoignage de Pitman.
Finalement, Peuchen tient à faire une déclaration solennelle : la presse lui attribue des critiques violentes contre le capitaine Smith, qu’il réfute totalement. Il explique en revanche en vouloir beaucoup à la compagnie pour ses politiques défaillantes, sans préciser lesquelles. Il ajoute que son témoignage se veut également, voire surtout, un écho à la parole de toutes les femmes de son canot qui lui ont demandé de témoigner en leur nom. Smith conclut alors le témoignage et la journée, en invitant Fleet à se représenter le lendemain matin…